Article Neorestauration du 17/05/2022

Le bio en RHD, une progression fragilisée

Selon le ministère de l’Agriculture, la part des produits durables, dont le bio, varie entre 10 et 15 % suivant les segments de la restauration. En ce qui concerne uniquement le bio, Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, estime que « nous sommes entre 5 et 6% en restauration collec­tive. La structuration prend du temps et nous avons besoin d’un maillage territorial fort. Globalement. des freins structurels et culturels subsistent». Ainsi, il n’existe pas de formation initiale ni continue sur ces enjeux, ni sur la saisonnalité. Dans le CAP cuisine. Le sujet des Siquos, les signes offlciels de la qualité et de l’origine dont le bio fait partie n’est abordé que quelques heures. « Or, cultiver en bio, c’est 30% de biodiversité en plus, 50% de population en plus par espèce, zéro résidu de pesticides dans les fruits et dans l’air. C’est donner une nourriture saine et une planète saine à nos enfants.»

Dans les cantines scolaires, la part du bio est passée de 3.4 % en 2017 a 10% fin 2021. Sans doute, le secteur ou la progression est la plus forte. Mais loin des objectifs de la loi Egalim en vigueur depuis le 1°’ janvier qui implique 50% de produits durables, dont 20% de pro­duits bio.«Les collectivités locales sont en avance depuis longtemps et les départements et les régions évoluent avec la mise en place de projets alimentaires territoriaux (PAT) souligne Christophe Hebert, le président d’Agores. II nous faut trouver un équilibre entre le sourcing, la dif­ficulté dapprovisionnement de certains produits, et le prix. Cette question du coût est fondamentale. Nous pouvons imaginer de nous rapprocher des circuits courts pour diminuer l’impact inflationniste sur la partie logistique, mais aussi réduire les composantes dans les menus. Nous sommes loin du compte, mais il est très important de regarder les marges de progression de chacun. Et puis ceux qui sont engagés dans la transition alimentaire s’inscrivent dans la durée. »

S’il est encore trop tôt pour évaluer la mise en place de la loi Egalim, Philippe Pont-Nourat, président du Syndicat national de la restauration collective (SNRC), alerte: « Entre février 2021 et février 2022, les volumes d’achat en bio sont les mêmes. Mais nous pouvons estimer qu’avec l’inflation sur les matières premières et les difficultés d’approvisionnement dans les mois à venir, il y aura une baisse des produits bio.» Pourtant, Yann Berson, président de Dispéré, grossiste à Rungis en conventionnel et en bio (3 millions en bio sur un chiffre d’affaires total de 16 millions d’euros), n’est pas inquiet. «L’évolution du marché bio n’est pas à remettre en cause, nous sommes aujourd’hui sur un petit plateau, après des années de progression à 10% par an, et même à 15% avant la Covid, analyse-t-il. II faut retrouver de la cohérence sur ce marché après une explosion pléthorique des produits. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine ne fait pas changer le prix des produits bio. II faut diminuer les emballages et leur coût, améliorer la qualité gustative de certains d’entre eux, et apprendre aux chefs à travailler avec des produits qui n’ont pas les mêmes DLC que les conventionnels. Ce n’est pas Egalim qui va leur apporter de la pédagogie. II faut revoir les recettes et comprendre que l’on ne peut pas avoir tous les produits toute l’année ! »

REDONNER DE LA VALEUR À L’ALIMENTATION

Le marché du bio a besoin de la RHD, et notamment de la restauration collective engagée. Cela implique que les budgets alimentaires soient revalorisés et que l’alimentation ne soit plus considérée comme la variable d’ajustement. « Nous avons 70 millions de litres de lait bio disponibles, prêts à être transformés pour la restauration collective, mais nous constatons, même avec Egalim, que se faire entendre et d’éviter aux producteurs bio de très peu de produits bio laitiers sont consommés », précise Yves Sauvaget, producteur de lait bio dans la Manche et président de la commission bio du Cniel. « L’enjeu est de faire consommer du lait bio aux jeunes enfants. Cela passe par un accompagnement pédagogique afin d’expliquer l’intérêt et la valeur d’un produit laitier bio. Aujourd’hui, il existe un différentiel de 13 centimes entre un litre de lait conventionnel et un litre de lait bio et cet écart se réduit en 2022. »

lci encore, il est question du prix. Un véritable choix politique qu’il faut argumenter et expliquer, toujours et encore. « Les élus peuvent vraiment impulser des choses. car il existe une belle opportunité pour la restauration collective », estime Serge Atia, CEO de Proxidelice, distributeur de produits alimentaires bio, locaux et Siqos dédiés à la RHD depuis 2013. « Les viandes bio ont vraiment une meilleure teneur en matière sèche et permettent de s’y retrouver sur le rapport quantité achetée-prix payé. Et c’est sans compter la qualité nutritive et les bénéfices pour l’environnement. Aujourd’hui, post-Covid, nous sommes dans une situation spéculative injustifiée. Et le contexte conjoncturel est souvent utilisé pour ne pas répondre aux objectifs de la loi Egalim. »

BIO VERSUS LOCAL

Pour Philippe Pont-Nourat, tout dépend des contrats en place. « Quand le contrat est à l’initiative de la puissance publique, le bio est intégré dans le cahier des charges de manière graduée (5,70,15,20 %), il va donc perdurer et continuer à augmenter, souligne-t-il. Quand le contrat est privé, pour des raisons de pouvoir d’achat des salariés, de disponibilité et de marges, la situation est différente. En restauration d’entreprise, on constate que le consommateur, dans le mixte valeur éthique sociétale et prix, a davantage de facilité à arbitrer en faveur du local. » Au self d’un restaurant d’entreprise
des Yvelines ou des Hauts-de-Seine, la pomme du Vexin sera préférée à la pomme bio de la Drôme. Ainsi, pour le prochain Printemps Bio (22 mai-20 juin), une campagne collective de communication réunissant l’Agence Bio, Interfel, le Cniel, Natexpo-Maison de la Bio sera lancée le 22 mai, à l’occasion de la journée mondiale de la biodiversité. Dotée d’un budget de 1 million d’euros (dont 400 000 euros par le ministère de l’Agriculture), elle doit permettre de stimuler la demande et soutenir la consommation. L’objectif est de se faire entendre et d’éviter aux producteurs bio de vendre sur le marche conventionnel sans pouvoir valori­ser leur travail.

DES VOLUMES INSUFFISANTS

Pour Philippe Sellier, éleveur de bovins bio et prési­dent d’lnterbev Bio. L’argument de la rupture des approvi­sionnements n’est pas recevable. «La part des éleveurs qui souhaitent passer en bio augmente de 10% à 12% tous les ans et sur la période 2015-2020, la production a doublé, précise-t-il. Intégrer la viande bio dans la restau­ration collective se fait progressivement dans le cadre d’un échange, et avec la volonté des élus. Fournir les can­tines passe par une contractualisation du long terme et la nécessité d’aborder les produits differemment en intégrant la problématique de l’équilibre matière (bourguignon, saute, escalopes). II faut vraiment faire comprendre aux élus que la viande bio est un produit essentiel et nécessaire pour les élèves. Quant aux professionnels, ils doivent revoir leurs pratiques, s’appuyer sur la cuisson basse température et la réduction du gaspillage alimen­taire pour absorber le coût. Nous avons la possibilité de fournir la restauration collective, nous espérons que la restauration commerciale sera aussi au rendez-vous. »

Si depuis sa création en 2011. le burger bio est la marque de fabrique de Bioburger. des restaurants indépendants et des chefs lui ont emboité le pas. Les leaders du fast-food, eux n’ont pas encore passe le cap du steak haché bio dans leurs menus. Du côté de la restauration collective, nombre de collectivités engagées poursuivent leur démarche, à l’image de Bordeaux-Mérignac qui enregistre 36% de pro­duits bio dans ses achats ou le Syndicat intercommunal de la restauration collective de Rauen-Bois-Guillaume passe de 7% de produits bio en 2011 a 43 % en 2022, avec comme objectif d’atteindre les 50% d’ici à 2023.

Les bons élèves existent. Reste à les suivre.